lundi, octobre 27, 2008

Mes lectures - Lamartine

«Il n’est qu’un vrai malheur, c’est de ne pas satisfaire tous les besoin de notre âme et de notre esprit, toutes nos facultés en un mot…»
p. 63

Oui, sans doute comme nous l’avons remarqué, il a joué très habilement de ses maladies. Il n’en est pas moins vrai que, dès sa sortie du collège, il a eu des crachements de sang, une faiblesse de poitrine, que les médecins de ce temps-là traitaient par le lait d’ânesse. Il n’est question que de lait d’ânesse pendant toute une période de sa correspondance. Avec cela des palpitations et des douleurs cardiaques, de la dyspepsie, des engorgements du foie, et enfin de l’arthrite et des fièvres perpétuelles. Dans ces moments de grand abattement, il ne parle que de mourir, il est le jeune poitrinaire qui fait ses adieux à la vie et qui rédige son testament littéraire. p. 61

Comme tous les hommes d’imagination et de sensibilité, Lamartine aimait mieux de loin que de près. Il lui faut l’éloignement pour que l’idéalisation de l’objet aimé puisse s’accomplir en toute liberté et se donner carrière. C’est surtout quand elles sont mortes que ses maîtresses lui apparaissent en beauté et en perfection. p. 82

Le colonel Pepe riposta dans l’Antologia par un violent article, où Lamartine était traité de lâche et de poltron. Impossible dans ces conditions, d’éviter une réparation par les armes, bien que le poète français se défende d’avoir voulu attaquer l’Italie. Il ne parle pas en son nom disait-il. Il n’est que l’interprète de lord Byron… Quoi qu’il en soit, le duel eu lieu. Lamartine fut élégamment blessé au bras droit. p. 116

De ce Lamartine, diplomate et mondain, une anglaise, Lady Blessington, nous a laissé un portrait qui semble pris sur le vif :«Il a bien bel air, dit-elle, est distingué d’aspect et s’habille si bien en gentilhomme qu’on ne le soupçonnerait jamais poète. Pas de col de chemise retourné, pas de ces longues boucles qui retombent sur le parement de l’habit, aucune prétention à l’afféterie, d’aucune sorte : tout juste l’espèce d’homme, qui vu dans n’importe quelle société, serait déclaré très comme il faut. Ses traits sont beaux et son attitude particulièrement intelligente et intellectuelle. Ses manières sont polies et sa conversation particulièrement brillante et intéressante… Quoique doué d’une très ardente imagination et d’un esprit parfaitement réfléchi, M. de Lamartine a été appelé à jouer un rôle considérable dans les scènes de la vie matérielle et active. Cela l’a forcé à exercer ses facultés raisonnantes, autant que son génie le conduisait à mettre en jeu celles de l’imagination. De là le fait qu’il présente une union peu commune d’habile homme d’affaires, de gentleman et de poète et qu’il apparaît à son avantage dans ces trois rôles. p. 120-121

Et ainsi le voilà entraîné à briguer un siège de député, puis à faire du journalisme et à s’improviser orateur parlementaire.
Cela n’est pas pour l’effrayer, lui qui se croit propre à tout. Chateaubriand, autre panier percé, disait intrépidement : «Les finances, que j’ai toujours sues». Lamartine, lui, déclare qu’il les sait «divinement», comme il s’y connaît en affaire, en politique, en tout, voire en cuisine. La parole ne le gêne pas. Depuis longtemps, il était un orateur qui s’ignorait : «Je vois se réaliser, écrit-il, ce que j’avais toujours senti : que l’éloquence était en moi plus que la poésie…» Et il se met à parler en effet. p. 168-169

On peut dire que cette période de sa vie, qui se prolonge jusqu’ à sa chute du pouvoir, a été la plus brillante, sinon la plus heureuse. Lamartine est devenu un des rois de l’opinion. On ne discute plus son génie.
Comme orateur et comme poète, il est au pinacle. Politiquement, il est une puissance avec laquelle le gouvernement doit compter, à qui l’on offre vainement ministères et ambassades. Son salon est le rendez-vous de toutes les célébrités parisiennes et même européennes. On lui écrit de tous les points du globe. Les éditeurs et les directeurs de journaux se disputent ses articles, sa prose et ses vers. Ce roi de l’esprit a toute une cour autour de lui. p. 180

Malheureusement, Lamartine n’a passé que deux mois au ministère des Affaires étrangères : il n’a pas pu donner sa mesure comme homme d’État. Plus tard dans son Cours familier, il a consacré des pages admiratives à Talleyrand, en qui il saluait un de nos plus grands diplomates. En eût-il été lui-même un autre? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait sur l’Europe des vues à la fois très pénétrantes et très justes et que son action trop éphémère, mais aussi raisonnable qu’opportune, ne s’inspirait que de l’intérêt de la France.
Je crois bien que cette action ne pouvait être que momentanée. Lamartine n’était pas homme à se cramponner au pouvoir : il n’avait pas le don de persévérance. Au fond il se sentait trop au-dessus de la politique, comme des honneurs. Ç’a été sa faiblesse, en tant qu’homme d’action. Il méprisait trop la politique parlementaire et les politiciens. Pour y réussir, il faut y croire, il faut avoir une violente envie d’arriver, une ferme résolution de se maintenir par tous les moyens. Il y faut aussi une certaine bassesse, ou une certaine brutalité d’âme. Lamartine n’était pas de cette race. Quand il se disait très détaché de toute ambition, même académique, il ne mentait pas. Et quand il fut question pour lui d’être élu président de la Chambre, ou président de la République, il est probable qu’il aurait été très flatté de ce choix. Mais il ne fit rien pour cela. S’il est nommé, il accepte, par devoir, dit-il. Sinon, il estime que cela vaut mieux pour sa tranquillité. D’ailleurs les obstacles l’irritent, les compromissions, les vilenies, petites ou grandes, les violences ou les duplicités qu’il faut admettre ou commettre, tout cela lui répugne profondément. Ç’avait été déjà l’attitude de Chateaubriand qui disait : j’aurais pu me maintenir au ministère, si j’avais voulu, j’aurais pu intriguer comme tant d’autres. Mais cela ne vaut pas la peine que je m’avilisse. J’ai autre chose à faire dans le monde. Quand on a la muse, on peut se moquer du reste. C’est ce que pensait aussi Lamartine. À la première avanie, il envoyait tout promener. Avec un beau mépris pour les politiciens, il les laissait barboter dans leur bourbier. Un grand écrivain est toujours fourvoyé dans la politique. p. 224-225

L’amertume de Lamartine vaincu s’est traduite par des jugements acerbes, par des mots à l’emporte-pièce sur beaucoup de ses contemporains. On a pu dresser des listes de ce qu’on appelle «les rosseries de Lamartine». Le fait est qu’il a eu des mots terribles. Ainsi celui-ci sur les salons parisiens décimés par la Terreur : «La guillotine avait rajeuni les salons de Paris». Et sur Benjamin Constant : «cet homme trop faible pour la vertu comme pour le crime». Il avait aussi des mots de polémiste et d’homme du monde, il ne dédaignait pas les médisances salonnières.
A propos des coquetteries de Mme Récamier, il résumait ainsi la tactique de la chaste Juliette : «tout promettre et ne rien tenir». Sur Mme de Staël et Napoléon : «Il n’y avait selon elle que deux grands homme dans la République, fait pour s’entendre et se compléter, elle et lui». Lorsque Victor Hugo, pair de France, fut pris en flagrant délit d’adultère par le commissaire de police, ce qui causa un grand scandale, Lamartine prit assez gaîment la mésaventure de son ami : «Bah! dit-il, on se relève même, d’un canapé…» p. 230

Il convient de reconnaître, d’ailleurs, que Napoléon III en dépit de l’hostilité maintes fois affirmée de Lamartine, lui témoigna toujours beaucoup de considération et qu’en somme, il se conduisit plus que correctement à son égard. En 1858, lorsque les amis du poète, acculé à la ruine, lancèrent, en sa faveur, l’idée d’une souscription nationale, l’Empereur s’inscrivit, en tête de la liste, pour le chiffre de 10.000 francs. Enfin, enfin en 1867, le gouvernement impérial lui fit voter, par le corps législatif, une somme de 500.000 francs, à titre de récompense nationale, et en stipulant que cette somme, comme les intérêts, était incessible et insaisissable. Malheureusement le pauvre grand homme n’avait plus même deux ans à vivre.
Quoi qu’il en soit, le Coup d’État bonapartiste était le coup de grâce pour Lamartine. p. 236

Ainsi Lamartine s’en allait après avoir vécu toute la plénitude de la vie, une vie à la fois magnifique et misérable. Il avait connu toutes les joies de l’amour, toutes les jouissances de la richesse et du pouvoir, tous les triomphes littéraires, toutes les ivresses de la popularité. Mais aussi quels déboires, quelles désillusions et quelles souffrances! Finalement, la politique, comme la terre, l’avait trahi. Une fois de plus, il était démontré qu’un grand écrivain ne peut pas être un homme de gouvernement, pas plus qu’il ne peut être un spéculateur ou un marchand : il y a des besognes qui lui sont interdites. Le plus dur pour Lamartine, ce fut son échec politique, le soufflet que fut l’avènement de l’Empire pour l’homme qui croyait avoir fondé la République, qui la considérait comme sa chose. A la longue, il s’en consola par des raisons tirées de son expérience personnelle, de sa foi religieuse et politique. Il aimait répéter le proverbe musulman : «Dieu sait le meilleur!» Et puis le tribun de la révolution de 48 avait horreur des révolutions. Pas de violence, toujours funestes! Ne rien brusquer, laisser l’évolution suivre son cours! Le temps se chargera de réaliser ce qui est conforme au désir inconscient des masses et à la volonté divine.
Il s’en allait ayant beaucoup travaillé et beaucoup souffert, si bien que son existence presque tout entière est comme un démenti infligé à l’optimiste de son œuvre. En tout cas, cette existence ne ressemble pas à l’idée qu’on s’en fait communément. On croit que tout lui a été facile, que ce nonchalant, que ce paresseux a été constamment heureux. Quelle erreur! On a pu voir, par ce qui précède, combien ses débuts ont été pénibles, autant ses débuts littéraires que ses débuts diplomatiques. Poète, il ne connaît le succès qu’après trente ans. A quarante, il n’est encore que secrétaire d’ambassade. Avant d’arriver à sa déplorable virtuosité de versificateur, il a dû rimer d’innombrables petits vers pendant de longues années. Avant d’être attaché à l’ambassade de Naples, ce séducteur-né s’est condamné à des courbettes assidues dans les ministères et à des grâces dans les salons influents, et cela au point de désespérer du succès. Il ne parvient pas à faire jouer son Saûl, après avoir mis en mouvement tous ses protecteurs. Il a beaucoup de peines à faire imprimer ses Méditations… Et puis, les maladies presque continuelles, les deuils, les tortures imaginaires ou réelles de la passion, la ruine, les dettes, la calomnie, les injures et l’ingratitude, enfin le travail forcené, la meule du labeur, dans l’amertume de se dire : «je n’ai pas réussi!»
Il n’a pas réussi parce qu’il a été un poète, en affaire comme en politique. Sa réussite, à lui, c’était la poésie, qu’il affectait de dédaigner. Quoi qu’il ait dit, il n’a jamais abdiqué la poésie : il ne le pouvait pas. Il a été poète dans toute sa vie, dans toutes les manifestations de sa vie. Il l’a été jusqu’au bout. Répétons-le encore, son grand poème, ç’a été sa vie. p. 258-259

«Mon âme est comme ces cribles où les laveurs d’or du Mexique recueillent les paillettes du pur métal dans les torrents des Cordillères. Le sable en retombe, l’or reste. A quoi bon charger sa mémoire de ce qui ne sert pas à nourrir, à charmer ou à consoler le cœur?...» p. 276

Alphonse de Lamartine

Louis Bertrand, Lamartine

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