mercredi, mai 03, 2006

À Navetdu

Un jour du mois où j'avais travaillé toute la journée, je me rhabillai et partis vers la ville. Mon emploi au club de naturiste me plaisait beaucoup, c'était d'une grande détente d'être nu toute la journée. Remettre ses vêtements semblait souvent pénible comme une agression à la liberté du corps. Souvenez-vous des vieux pantalons de laine piquante et drue que le centre du monde nous obligeait à mettre. Je pensais à tout cela en dévalant le vallon tandis qu'un deltaplane élevait un agneau dans le ciel bleu. Il faisait chaud. Je commençai donc tout naturellement par enlever ma chemise que je tins par la main, laissant le vent la balancer. Au loin on apercevait le clocher de l'église du village, peut-être à cinq kilomètres.

J'y étais arrivé, à ce village, totalement par hasard à la recherche de bon air, plaintif des pollutions de la cité et des grands centres. Sous le charme, je m'y installais sans attendre, mes bagages viendraient m'y rejoindre, pas question de retourner à la ville et de perdre du temps. Je louais tout à côté de l'église et je commençais à connaître un peu tout le monde dans le patelin après ces quelques mois: le prêtre César, le boucher Tony, le facteur Théophile, la jolie maîtresse d'école Nicole, le boulanger Nicolas, le garagiste Gaston, mon propriétaire Roméo et bien sûr le roi du tabac et la reine du café.

Mes souliers s'enfonçaient dans le sable doux qui recouvrait la pente et s'emplissaient tel un seau s'amusant avec la pelle d'un enfant. Je les enlevai préférant le contact moelleux et thérapeutique de mes pieds avec les grains de silicone plutôt que l'instrument abrasif qu'ils étaient devenus. Je tins alors avec ma main gauche la chemise et les deux souliers. Je me sentais bien, libre avec mon torse et mes pieds nus. Depuis quelques centaines de mètres, un chien noir me suivait en gardant toutefois une certaine distance nous laissant à l'un et l'autre notre espace et notre intimité. Après tout, nous étions de parfaits inconnus. Je le baptisai tout de même, Quichichou, en l'honneur d'un chat que j'avais eu auparavant. J'aperçus alors sur le bord du chemin un très joli bâton de pèlerin et le ramassai. Il avait la forme idéale, la prise idéale et même la longueur idéale. Tel Moïse je continuais ma descente.

Il y avait élections au village et on m'avait recensé dernièrement. Cela faisait de moi un véritable Navetducoin, j'en étais fier, car pour ce détail on m'y acceptait d'avantage. Je prenais moi aussi part aux activités de la petite communauté; ainsi je le faisais dans les festivals mais ce n'était pas la même chose, car dans les festivals la ville s'emplissait de touristes et je n'étais plus alors qu'un de ceux-ci. Il me fallait choisir un candidat, un tout nouveau candidat, car l'ancien maire était mort d'une saute d'humeur alors que sa femme le refusait depuis un bon mois. De plus les échevins ne se présentaient au conseil que la journée de la paye, la canalisation était vétuste et les citoyens bien sourds au fond de leur campagne ne répondaient pas à leurs assignations. Tony le boucher ne me trompait pas, il n'avait aucune conscience sociale. On n'avait qu’à le regarder mettre son pied au cul du jeune garçon qui travaillait pour lui, il le faisait avec grande joie.

Tout à coup, j'entendis crier : « tu n'es qu’un scélérat », cela résonnait sur les rochers, se répétait dans les montagnes. Je scrutais les arbres à ma gauche, puis, encore, « tu n'es qu'un scélérat ».
Provoquant à mon tour l'écho je criai : « Coquin ! Montre-toi si tu n'es pas un lâche », j'étais confiant mais tout de même heureux d'avoir ramassé mon bâton. Puis se dessina, haut perché sur une branche la silhouette d'un énorme corbeau qui de toute évidence me narguait. « Ah bon! te voilà bandit des grands chemins, tu ne t'en tireras pas ainsi », je déposai ma chemise et mes souliers et pris mon bâton telle une lance, erreur monumentale. Aussitôt que j'eus projeté le javelot le chien s'empara de mes affaires, le corbeau s'envola aisément devant mon lancé risible et les deux complices prirent le large, corbeau chevauchant chien, ailes déployées, cavalier de l'apocalypse, bonds surnaturels et obscure destinée. Je dois dire que cette scène me laissa perplexe quant à la nature de ces lieux, je me retournai pour vérifier la route, oui, le clocher du village là-bas, oui, bon alors je continue ma route.

L'autre candidat à la mairie ne me semblait pas non plus idéal. Il s'agissait du personnage le plus riche du comté, soit, le marquis de Sable, il tenait son nom de l'exploitation de sablières dont il tirait une partie de sa fortune. Plusieurs cadavres de jeunes filles avaient été retrouvés dans ces sablières il y a de cela quelques années. Ces crimes n'avaient jamais été élucidés. Le marquis mettait ses terres en métayage et ainsi contrôlait déjà et suffisamment je crois la destinée des navetducoins.

Un parfum de lavande mélangé aux nombreuses herbes odorantes et fleurs des champs vint me chatouiller agréablement le museau. Tel un animal je me frayai une route à travers champs direction place du bouquet. Mais voilà, il est plus facile à un ours de faire de la bicyclette qu'à un homme d'éviter le piège à ours oublié. Clac ! La douleur fut terrible, j'ai crié éperdument, me suis lamenté férocement. La fracture était ouverte et il me fallut toutes mes forces pour ouvrir cette mâchoire d'acier, toute rouillée de surcroît. J'étais dans de beaux draps. Je ne pouvais plus que me traîner. Je rassemblai mes esprits et déchirai mes pantalons pour me faire un bandage. Me voilà nu, la cheville fracturée, le cul dans l'herbe sous un soleil de plomb. J'attends qu'un bon samaritain passe; personne. La nuit tombe. Aux alentours dans le roc bondissant vers le ciel une entrée de grotte, je m'y traîne comme une tortue hors de l'eau et m'installe pour une nuit longue et froide, peut-être même mortelle.

Le lendemain au village tous les gens se présentent à l'église pour le sermon dominical; rituel auquel les navetducoins n'échappent pas. L'ecclésiastique professait la victoire, bien sûr, à celui des candidats qui s'engageait, « dès maintenant », à faire effectuer les réparations que nécessitaient l'église, le presbytère et à la restauration des oeuvres d'art religieux. Les deux belligérants conscients du budget limité de la mairie restèrent silencieux épiés par les villageois tout autour. On faisait tinter l'argent à la quête mais cela n'allait pas plus loin; le curé en serait quitte pour une autre caisse de rouge et un saucisson à l'ail.

Au lever du soleil je priais cet astre si merveilleux qui réchauffe notre planète. Tous les peuples à travers les âges qui prirent le soleil comme dieu, qui l'adorèrent, qui le vénérèrent, sont autrement plus intelligents et perspicaces que nous. Ce n'est pas la science qui a détruit ces vérités mais bel et bien la stupidité de l'homme moderne, sa vanité, sa suffisance et son arrogance face à son milieu. Laissez-moi rire avec votre Dieu unique et indéfinissable. Avouez donc une fois pour toutes que vous n'êtes que des ignorants, cupides et orgueilleux. Derrière moi, au fond de la grotte, j'entendais un ruissellement d'eau. La soif me donna la force de m'y traîner. Une fois désaltéré, je remarquai un long tunnel en pente et très bizarrement une luminosité quelconque tout au bout. Il était très dangereux pour moi d'explorer cette voie; aurais-je la force de revenir? Ne devrais-je pas dans ma situation retourner au chemin à l'extérieur? Bien sûr que oui, peut-être que cette nuit horrible m'avait fait perdre la tête. Je m'engageai péniblement jusqu'à ce que la bouette m'entraîne dans une longue glissade qui aboutit dans ce qui paraissait être des catacombes romaines ou encore des caves secrètes ayant servies de retraite pendant la guerre. Je ne sais par quel miracle, on y voyait relativement bien. Il y avait des rails au sol et un chariot sur lequel je puis m'appuyer et évoluer à l'aise sur une distance considérable. J'entrepris de grimper à l'échelle de métal à ressort qui là se perdait dans le noir. Je touchai après une vingtaine de mètres d'escalade son plafond. Il s'agissait en fait d'une dalle, probablement un caniveau, je poussai du plus fort que je pus mais j'avais peine à la soulever de quelques centimètres.


Le prête arguait: « pour se ménager la bienveillance de Dieu, ces messieurs les politiciens lui adressent des prières, lui offrent des sacrifices en achetant des votes, oui! Mais ces actes sont soumis à un rituel rigoureux messieurs, auquel le moindre manquement est interdit. Les prêtres sont les dépositaires de ce rituel et les magistrats doivent les consulter, comme pour les actes religieux. Dieu n'écoutera que celui qui passera par son agent; c'est-à-dire moi. » À voir les bouilles des villageois transformées et stupéfaites, César, le curé, se demandait s'il n'y était pas allé un peu fort en teneur ou en composition. Puis à un niveau encore plus fort la tension augmentait sous la nef défigurant l'amas de croyants.

Dans un dernier et suprême effort je réussis enfin à desceller la dalle de ciment et par un petit triangle prisme newtonien; la lumière. Je tassai la dalle, me hissai à bout de bras et ce que je vis me laissa pantois: l'autel de l'église, et puis une fois sortie, la figure du prêtre en déconfiture. Déconcentré, déconcerté, décontenancé, ahuri, vous n'avez qu'à choisir, tous le lui allaient bien. Je me retournai alors les bras en croix pour me rendre compte que tout le village hébété me regardait dans ma sainte nudité. Des cris, du tangage de foule et de son, certaines femmes détournaient la tête, d'autres se signaient ou d'autres encore me fixaient l'appendice. Certains hommes riaient d'autres s'offusquaient ou se moquaient mais alors je perdis connaissance au beau milieu du choeur. Je me suis réveillé quelques jours après sur un lit d'hôpital la jambe dans le plâtre et des fleurs par centaines autour de moi.

Si vous passez un jour à Navetdu, vous verrez que j'y suis devenu légende; à l'église, on a gravé la dalle que j'ai soulevée pour apparaître tel un miraculé. Sur la place centrale, j'ai ma statue, nu, les bras en croix, je suis devenu « Jésus sans Croix » pour ces gens. Je fais office aujourd'hui encore d'attrait touristique, d'autant plus que l'histoire se rallonge à chaque année, vous connaissez les gens. Maintenant que je suis passé, là-bas ils sont larges à la mairie, les coffres sont pleins, on réalise des projets improbables, voire impossibles auparavant. J'y suis l'objet d'un culte et on m'y honore une fois l'an.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Où peut-on voir la staue?....

Loyglo James Blotti a dit...

Obstinée personne si votre imagination ne suffit pas montrez-moi votre extérieur et peut-être rencontrerez-vous le modèle... Cela peut-être bien plus intéressant non?